30 janvier 2019

Contrariétés

C’est toujours au sein d’une idéologie que de nouvelles idées naissent. Des idées : autres. Souvent, elles viennent d’ailleurs. Cela fonctionne par râpes. Dans le monde mondialisé, qui est d’une complexion complexe, cela devient de plus en plus compliqué. On peut se demander si l’ailleurs existe, et si oui pour combien de temps.

C’est comme les bouquetins : il y en a dans les Alpes, mais finalement assez peu et parce qu’on les y a réintroduits.

Ce texte est issu du premier numéro de la revue papier Jef Klak, « Marabout », encore disponible en librairie.

Dessins par Julia Marti (juliamarti.com)

En 1906, Joseph Bérard braconne dans une réserve royale italienne, il enlève trois bouquetins, deux femelles et un mâle, et il les introduit clandestinement en Suisse.

On peut se demander si l’espace naturel, si l’habitat naturel existent.

Ils n’ont pas la place, ils sont serrés, la gorge serrée mais ils sont là et ils vivent.

Ils savent toujours aussi bien se tirer des chutes de cailloux.

En 1536, Clément Marot braconne dans une réserve royale italienne, il enlève de nombreux sonnets, et il les introduit clandestinement en France.

On peut se demander si l’espace mental, si l’habitat mental existent.

Ils n’ont pas la place, ils sont serrés dans la bibliothèque, la gorge serrée de l’homme, entre eux serrés, qui sont là et qui vivent.

Tirer la langue, et sucer des cailloux. Des lichens, les sucer dans la grotte. Comme l’ermite, la caverne.

En 1754, Louis Mandrin organise six campagnes de contrebande, il s’en prend aux fermiers généraux, les gens l’aiment et Voltaire écrit : « On prétend à présent qu’ils n’ont plus besoin d’asile, et que Mandrin, leur chef, est dans le cœur du royaume, à la tête de six mille hommes déterminés ; que les soldats désertent les troupes pour se ranger sous ses drapeaux, et que s’il a encore quelque succès, il se verra bientôt à la tête d’une grande armée. Il y a trois mois, ce n’était qu’un voleur ; c’est à présent un conquérant. »

Clément Marot, voleur du sonnet italien, le conquiert au présent dans une langue et une forme différentes. La forme sonnet, composée en latin de deux quatrains ABBA ABBA fixes suivis de deux tercets CDE CDE ou CDE DCE devient, en français et sous la main de Marot, le sonnet en ABBA ABBA CCD EED.

Les humains, qui sont humains parce qu’ils parlent la langue qu’ils ont inventée qui n’est pas naturelle, ne sont pas des bouquetins et vivent dans cet habitat qu’est la langue, la patrie.

En 1547, Jacques Peletier du Mans met au point une forme sonnet concurrente à celle de Clément Marot en ABBA ABBA CCD EDE. On appelle couramment la forme de Marot « sonnet italien » et celle de Peletier « sonnet français ».

Il y a des abus de langage.

On peut avoir plusieurs nationalités. Les bouquetins, eux, n’ont pas de nationalité : même s’ils viennent d’Italie, ils sont suisses.

Les bouquetins sont pré-linguistiques.

En 2012, pour célébrer le tricentenaire de sa naissance, la ville de Chambéry tente de s’approprier la personne de Jean-Jacques Rousseau. Et on voit sa photo partout.

Voltaire est suisse.

Les Suisses sont neutres.

En 1754, à Rodez, durant la dernière des six campagnes de contrebande qu’ils entreprennent, Mandrin et ses hommes, qui sont armés, menacent les employés des fermiers généraux et les forcent à acheter leurs marchandises.

Pendant ce temps, Voltaire, interdit de séjour à Paris, est en Suisse.

Philippe Jaccottet est un poète suisse francophone, mais si l’on dit du mal de Rilke il peut se mettre très en colère. Pourtant il est excessivement neutre, Jaccottet. Au point qu’il ne l’est plus du tout.

Rilke est un poète allemand que le philosophe allemand Martin Heidegger trouve grand, même s’il lui préfère Hölderlin qui est un poète allemand qui est grand, aussi.

En 1792, l’astronome et mathématicien français Jean-Baptiste Joseph Delambre se charge de mesurer la distance entre Dunkerque et Rodez, tandis que son confrère, Pierre Méchain, astronome français, se charge de mesurer celle entre Barcelone et Rodez. Ville où les deux savants doivent ensuite se retrouver pour comparer leurs travaux, afin de déterminer la valeur exacte du mètre.

En 1552, Pierre de Ronsard réconcilie, en Les Amours, les deux dispositions françaises concurrentes du sonnet établies respectivement par Marot et Peletier. Ronsard, volant les voleurs comme Ali Baba en 40, qui est un nom arabe, ou comme Mandrin les poètes généraux si on est contrarié, accède légalement à la gloire que n’atteindra jamais son contemporain Joachim Du Bellay, et ce n’est pas le vol.

Le sonnet vole, maintenant : on prétend à présent qu’ils n’ont plus besoin d’asile, et que Ronsard, leur chef, est dans le cœur du royaume, à la tête de six mille hommes déterminés ; que les soldats désertent les troupes pour se ranger sous ses drapeaux, et que s’il a encore quelque succès, il se verra bientôt à la tête d’une grande armée. Il y a trois mois, ce n’était qu’un voleur ; c’est à présent un conquérant.

L’Allemagne nazie est grande, Heidegger apprécie.

Rousseau n’est pas un bouquetin. Il n’est pas neutre, il n’est pas un bouquetin italien introduit en Suisse : il est un écrivain, philosophe et musicien contrarié genevois francophone forcé de s’exiler en Suisse en 1762.

Rousseau est suisse, est apatride.

Le Suisse n’est pas candide.

L’histoire, le sonnet est un conquérant.

Plutôt Friedrich Nietzsche que Friedrich Hölderlin, je suis de confession poétique.

En 1942, le poète français Robert Desnos se charge de prendre contact avec le docteur et poète médiocre français Gaston Ferdière, afin qu’Antonin Artaud, poète contrariant et interné, soit transféré à l’asile de Rodez, en zone libre.

Friedrich Nietzsche n’est pas de confession nazie, mais c’est un philosophe furieux et il peut se mettre très en colère. Et il joue du piano.

Pendant que Mandrin vole les fermiers généraux, à la grande joie du peuple, et accède au statut de héros, de conquérant, les banquiers suisses se préparent à voler les juifs qui sont morts.

L’histoire est aussi une écriture.

Les juifs, quels que soient leur nationalité et leur sexe, sont introduits, non dans des réserves royales italiennes où les bouquetins sont préservés, mais dans des camps en Allemagne ; ils sont introduits légalement dans des camps, on leur vole leur vie, leurs biens et leurs dents. Et on les extermine.

Friedrich Nietzsche est un poète allemand de confession philosophique, et c’est un conquérant.

L’histoire est au présent.

En 1943, Antonin Artaud est introduit légalement à l’asile de Rodez. Antonin Artaud n’est pas un bouquetin juif : c’est un Français de confession poétique, et qui n’a comme patrie que la langue.

L’histoire conquiert, est au présent. Et c’est aussi une idéologie.

Parfois, à l’asile, il y a des Parques. Et elles savent parler, se tenir droites, entières, finies. Parfois on les réintroduit, et d’autres on les parque.

C’est un événement historique.

Les parcs n’ont jamais été neutres.

En 1793, à Barcelone, Pierre Méchain détecte une anomalie dans son travail pour déterminer la valeur exacte du mètre : il y a une incohérence entre les mesures qu’il a prises et la position des astres. Cela le contrarie, le met en crise ; l’arrivée de la guerre franco-espagnole lui interdit de renouveler ses mesures, recommencer, continuer. Il ne se rend pas à Rodez pour rejoindre Delambre, et ce n’est pas le vol. Méchain est un scientifique contrarié.

La crise du vers est plus tardive. Il y a de nombreux essais sur le sujet.

Le sonnet, le poème, le mètre est contrarié.

Vous pouvez aller les consulter en bibliothèque, et ce n’est pas le vol.

Le mètre, l’humain est contrarié.

Des gens y errent. Ils errent dans des livres et des vers en crise, les interdisent. D’autres les livrent qui les continuent.

L’humain est contrariant.

En 1933, Adolf Hitler, après avoir accédé légalement à la Chancellerie de la République de Weimar, à la grande joie du peuple, et sans voler personne, accède au statut de héros, de conquérant.

L’humain, le mètre est absolu.

En 2001, dans Et, néanmoins, Philippe Jaccottet écrit : « C’est pourtant ma voix : tout effort pour la durcir, la briser, la gauchir impliquerait un mensonge bien plus grave que celui qui l’imprègne malgré moi. »

Cela me contrarie.

Le poème s’interdit. Il se transmet ; il transite.

Le poème se transdit dans la tête des autres.

Hitler ne joue pas de piano, mais il écoute Wagner, qui est un conquérant ; que n’écoute plus Nietzsche, qui est très en colère, est en crise contre lui.

L’humain, en crise.

C’est un conquérant contrarié.

Joachim Du Bellay dit qu’il ne faut pas traduire les poèmes qui ont été écrits dans une autre langue, et ensuite il le fait : il écrit Pétrarque en français. Du Bellay est un poète contrarié. À errer comme ça dans la chambre, les langues, dans les idées paradoxales, l’indétermination radicale. Et qu’il offre en lecture à d’autres humains. À la critique : en pâture. La critique, il la contrarie.

La critique conquiert l’humain.

Les juifs sont apatrides. Sont neutres. Ils ont Israël, mais ils marchent. Dans le désert, ils errent. Et ils marchent sur la Palestine.

Le mythe conquiert l’histoire.

Pendant ce temps, à Chambéry, je détecte une anomalie dans mon travail pour déterminer la valeur exacte du mètre.

La valeur, conquérante.

La crise conquiert l’humain.

En 2012, à Saint-Denis, je suis devant le rayon de littérature suisse francophone de la B.U. (Bibliothèque universitaire, ndlr) de Paris 8, et cela me met en crise ; j’écris ce texte, serré. Contrarier les rayons.

La valeur se conquiert.

En 1937, à Dublin, Antonin Artaud est arrêté pour vagabondage et trouble de l’ordre public.

La valeur est contrariée.

Des gens viennent dans la langue : ses formes, ses forces.

Vient Rimbaud, vient Michaux ; Viens.

La critique est une complexion complexe, compliquée.

Des gens errent dans la langue : ils vont ; Vas.

La valeur se conquiert.

Cette conque : je veux dire la parole.

La parole est une complexion complexe, compliquée.

Adolf Hitler est un écrivain autrichien de langue allemande. Ce n’est pas un bouquetin. Les bouquetins ont été réintroduits, en Allemagne, en 1936 par le régime nazi.

La politique est une complexion complexe, compliquée.

Je veux dire : ce n’est pas le mètre, la parole : ça ne se mesure pas.

En 1549, dans La Deffense et illustration de la langue françoyse, Joachim Du Bellay nous dit qu’il faut imiter les Anciens, et ce n’est pas le vol. Ne pas imiter, c’est se limiter. Il nous dit qu’il faut les convertir en sang et en nourriture, les saisir sur sa langue, et les dévorer. Il faut les dévorer, les bien digérer, entrer quasi comme en eux et se : transformer : en : les : autres. Joachim Du Bellay n’est pas de nationalité, c’est un poète apatride et paradoxal de confession transsubjective.

Il n’y a pas de limites.

Je détecte une incohérence entre les mesures que j’ai prises et la position des astres.

La mesure est contrariée.

En 2010, à Avignon, l’auteure, metteuse en scène et comédienne espagnole de confession féminine Angélica Liddell, conquiert le public avec deux pièces de théâtre : La Casa de la fuerza et El año de Ricardo. Les places sont chères, mais ce n’est pas le vol. Dans la seconde, que je vois en 2012, à Paris, Angélica Liddell nous explique, en espagnol surtitré en français, que les juifs ont beaucoup écrit, écrivent beaucoup, que c’est pour ça qu’on parle de la Shoah. Que les Africains n’écrivent pas, que c’est pour ça qu’on oublie. Qu’on ne connaît pas. Qu’on se moque d’eux. Leurs génocides. Que je n’écris pas là-dessus.

Certains poètes n’ont que la langue pour brûler, d’autres n’ont pas cette contrariété.

La valeur, va.

Je va te bousculer.

Il y a une littérature mondialisée, un marché en marche, et qui n’est pas seulement les États-Unis d’Amérique. Et c’est aussi une idéologie.

En 2008, à Berlin, une statue à l’effigie d’Hitler se voit arracher la tête par un visiteur.

La politique culturelle est une complexion complexe, compliquée.

En 1946, Antonin Artaud sort de l’asile de Rodez. La critique psychiatrique est contrariée : On prétend à présent qu’ils n’ont plus besoin d’asile, et qu’Artaud, leur chef, est dans le cœur du royaume, à la tête de six mille hommes déterminés ; que les soldats désertent les troupes pour se ranger sous ses drapeaux, et que s’il a encore quelque succès, il se verra bientôt à la tête d’une grande armée. Il y a trois mois, ce n’était qu’un voleur ; c’est à présent un conquérant.

Et, néanmoins, Jaccottet dit encore : « Bien décidé d’avance à rompre, si possible, avec le loqueteux qu’on finira par devenir, à lui retirer d’avance la parole, lui refusant tout droit à obscurcir de ses hoquets ce qu’il m’aura été donné de faire rayonner avant sa misérable entrée en scène. Qu’on l’aide, alors, lui, l’infortuné, comme on doit et peut aider les malades ; mais que tout cela reste une affaire privée, dont rien ne filtre au-dehors ; et qu’aucune ombre de cette sorte-là, venant de moi, réduit après tous les autres à la débâcle, ne vienne rétrospectivement altérer la limpidité du monde tel que je l’aurai vu tant de fois en ayant encore, comme on dit, ‘‘tous mes esprits’’. À la putréfaction, il faut refuser la parole. Non pas la nier ; mais la réduire au peu qu’elle est. »

Pendant ce temps, parqué à Theresienstadt, Robert Desnos est mort.

Colchiques dans les prés.

J’ai la nausée mentale. J’entends mes autres qui crient.

L’arrivée d’une amie franco-espagnole dans mon appartement du 9e arrondissement de Paris m’interdit de renouveler mes mesures, recommencer, continuer.

Je n’ai pas beaucoup de problèmes, réels. Je ne suis pas candide non plus.

L’Italie, qui a permis la préservation de l’espèce bouquetin et favorisé sa réintroduction dans les pays voisins, a aussi favorisé le régime nazi et l’extermination des juifs et des aliénés en les introduisant, les mesurant, les parquant. Les camps.

On sait que des bouquetins sont passés des Alpes italiennes aux Alpes françaises de leurs propres fait, forces. Sans l’intervention des humains.

Il y a de l’espoir.

En 2012, à Lausanne, je me réveille avec ce texte qui parle. Il parle en moi, et ce n’est pas ma voix : et je suis dévoré. Et la voix ça l’affole, la met en crise.

Il y a toujours déjà plusieurs je.

En 1967, dans ∈, le poète et mathématicien français Jacques Roubaud, de confession contrariété volontaire bénéfique à la création : création conquérante, quoique contrariée. Mais non contrariante pour autant, puisque libératrice.Mais quand même un peu. Bien que. Mais c’est là une question complexe, compliquée. Plus qu’un complexe oulipien qu’une complexion ou bien son contraire. Écrit des poèmes qu’il qualifie de « sonnets en prose  ».

Il y a des cas extrêmes.

Une touffe d’herbe conquérante au milieu de la route : cela ferait plaisir à Bergson, juif, qui est l’ange blanc de Nietzsche, ce qui n’est pas l’angle, qui lui est très en colère contre sa sœur.

En 2012, à Paris, je croise Jacques Roubaud dans la cour de mon immeuble et j’apprends qu’il est mon voisin.

Le sonnet est une complexion complexe, compliquée.

J’hésite à mettre ce texte dans sa boîte aux lettres.

En 1602, à Genève, une mère de famille septuagénaire procède à un jet par la fenêtre d’une marmite de soupe suisse sur un soldat savoyard qui passait par là. C’est le plus haut fait d’armes de la bataille de L’Escalade, et les troupes du duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er sont repoussées. Bien que cela débouche sur le Traité de Saint-Julien et la paix entre les deux peuples, tout le monde s’en fout, à fond. Mais pas les Genevois, qui font la fête tous les ans pour célébrer cette victoire dont tout le reste du monde en a rien à foutre, car c’est la seule gloire militaire de leur histoire.

Les Suisses sont neutres, mais ils ne sont pas conquérants non plus.

On apprend béats que les troupes de soldats savoyards décimées par la soupe suisse étaient composées principalement d’amies espagnoles et de bouquetins italiens.

La soupe est apatride, elle ne se confesse pas : nous sommes en République.

Pendant ce temps, je suis désolé mais je ne peux pas parler tout le monde.

Plutôt Henri Michaux que Henri Bergson, je suis un scientifique contrarié.

Henri Michaux est un poète belge francophone en exil volontaire en France et dans des mondes qui n’existent pas, mais qu’il raconte et qui nous changent.

Adolf Hitler, qui est de confession nazie, est un peintre hongrois d’une langue trop médiocre pour entrer à l’Académie des Beaux-Arts. Mais il entre dans l’histoire comme un bon conquérant.

L’histoire est contrariée.

Henri Michaux est un conquérant passif. Cela peut contrarier, mais ce n’est pas médiocre non plus. Ça va. Michaux va, il est bon, il invente des tableaux d’asile. Apatride, il les dit.

Comme Rousseau vis-à-vis de la musique, Hitler vis-à-vis de la peinture est un artiste contrarié.

L’histoire est une complexion complexe, compliquée.

En 1894, dans Les Chansons de Bilitis, Pierre Louÿs écrit des poèmes qu’il qualifie déjà de « sonnets en prose ».

L’histoire, crisse des nerfs.

L’histoire est contrariée par la répétition.

Dans La nuit de l’Iguane, le vieux poète, qui est en fauteuil roulant, termine son dernier poème et meurt en le récitant. Pendant ce temps, le film continue. Et je peux le revoir quand je veux.

Iggy Pop est toujours vivant.

Le poème est interminable.

Pendant ce temps, à Gentilly, Charles Pennequin, qui n’existe pas, qui est un poète français de confession sonore, frotte sa tête enturbannée de bande médicale comprimant deux feutres, l’un rouge l’autre noir, sur son crâne. Comme des cornes sur le sol. À quatre pattes : il écrit avec. Avec sa tête. Par terre : il baragouine, il élucubre dans un micro. Dominique Jégou, à ses côtés secoue des tôles. Il les fait tournoyer. La mesure, l’espace, le public : ils les contrarient. Sous la menace, ils nous obligent à nous déplacer.

Le poème n’est pas mesurable : il est vivant.

: Le poème est interminable :

En 1997, à Arcachon, je suis introduit légalement dans un camp de vacances et m’amuse avec d’autres enfants. J’apprends leur langue, imite. Je les dévore et me conquiers.

Christophe Tarkos, qui est un poète français de confession démesurable qui nous dit que « l’argent est la valeur sublime », est toujours vivant.

Pendant ce temps, partout dans le monde, le poète parisien : new : yorkais Marcel Duchamp, de confession complexe et de nationalité plasticienne, réalise des jeux de mots en trois dimensions.

L’espace mental est contrarié.

Stéphane Mallarmé, qui est un poète français de langue divagante, quoique de confession géométrique, nous dit en anglais qu’il faut savoir coordonner des éléments très dispersés, et ce spécialement en ces jours critiques.

Le monde, crissent les nerfs.

Le rythme est la valeur sublime.

Pendant ce temps, à Berlin, le poète français de confession footballistique Zinedine Zidane perd son slam face à un bouquetin italien. Nous sommes en 2006. La France est contrariée.

En 1965, à Düsseldorf, Joseph Beuys, qui est un artiste allemand de confession vitale, explique les tableaux à un lièvre mort. L’action mérite un ekphrasis conséquent, mais les Estoniens Tiit Ojasoo et Ene-Liss Semper le dirigent sur le plateau de l’Odéon. Je les regarde faire.

L’histoire se répète, et ce n’est pas le vol.

En 2011, à Paris, j’assiste à une lecture performée de Jérôme Game, poète sonore de langue mixée et de confession saccadée. Hoquet : OK. Il est aussi bien en vrai qu’en CD.

L’histoire hoquette.

En 1998, à Novalaise, je suis le traducteur de la langue de mon frère, qui est un poète français de confession dyslexique, pour les invités que reçoivent les parents. Je suis alors le meilleur traducteur au monde de son monolinguisme.

En 2004, à Torquay, introduit légalement dans une réserve touristique, je ne comprends pas les autres et je reste interdit : je m’enlise dans la langue, sa glaise. Je m’enlise dans la langue anglaise.

Je suis un garçon très légal.

Pendant ce temps, Voltaire est à Londres avec Sean Lennon. Repeat after me.

L’année où mon frère naît, je repique mon CP parce que je ne sais pas lire et écrire seulement mon prénom.

Aujourd’hui, rue de Moscou, je me fais couper les cheveux : on les change en sang et en nourriture. Pour une journée, je ressemble à un autre. Cela ne me contrarie pas. Je ne suis pas Orlan, non plus ; nettement plus neutre, corporellement.

Il y a trop de je dans ce texte.

Mais dans ma tête : ils entrent en moi. Ils me dévorent, conquièrent, et ce n’est pas le vol.

En 2010, à Bobigny, je me confronte à la solitude essentielle de Rilke et au mythe de la chambre, du bureau besogneux, de Du Bellay. Et je me mets en crise, me contrarie. Lorsque je ne me supporte plus, je me dévore la gueule et vais à des soirées new wave.

: je dance :

En 2009, à Chambéry, je suis en dépression : post : traumatique : amoureuse, mais je n’écris ni Les Amours, ni Les Regrets : j’écris Sweety, Slutty, Poetry qui est inédit et sans doute médiocre.

En 2012, à Beaubourg (Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, ndrl), j’ai la tête dans les nuages de Richter. C’est le meilleur moment de l’expo (exposition, ndrl). Des photos frauduleuses en témoignent.

Ce texte s’écrit en 2012. Cela se sent, mais ce n’est pas le vol.Et c’est aussi une idéologie.

En 2010, au MAC Lyon (Musée d’art moderne de la Ville de Lyon, ndrl), je vois une rétrospectivede Ben Vautier, qui est un artiste de nationalité compliquée et de confession imposture. Ben, qui conquiert les stylos et les agendas en grand, est une éponge médiocre.

Dans l’œuvre de l’artiste slovaque Roman Ondák, de langue contemporaine et que je rencontre au MAM (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ndrl), aujourd’hui c’est la mémoire qui est la valeur sublime.

Il y a trop de références dans ce texte. Je perds.

Je ne peux pas parler tout le monde.

Caser Lou Andreas-Salomé entre Rilke et Nietzsche n’y changerait rien, et ne serait pas pour une bonne raison.

Il n’y a pas assez de femmes dans ce texte.

beuys beuys boys.

En 2012, dans la salle Boltanski du MAM (op. cit.), je prends un des bottins dans les rayonnages : année 1999, bottin français, département 73 (Savoie, ndrl), lettre N : Novalaise. Je n’y trouve pas mes parents, qui sont sur liste rouge, mais je découvre que Badiou, un Badiou, habitait à Novalaise en 1999. Mais je ne sais pas s’il est rouge aussi. Il y a des bottins du monde entier à ma disposition, mais je choisis : France, 73, Novalaise. 1999 n’est pas une bonne excuse. L’enregistrement de mon rythme cardiaque fait partie d’une œuvre de Boltanski : elle y est mélangée à des milliers d’autres. Mais je ne suis pas encore assez dépecé.

Pendant ce temps, au casque, j’écoute « Crimes sens initiales » de Gherasim Luca. En boucle.

Eh bien dansez maintenant.

Daniel Buren est un artiste contemporain parisien gentilé boulonnais de confession critique institutionnelle. Buren est neutre, mais engagé. Il est engagé, mais neutre. Buren conquiert l’espace public.

Ghérasim Luca est un poète apatride de confession autosubjective qui met en crise le mythe avec le mythe conquérant qu’il invente, ou vole ; et il me dépèce. Il conquiert mon espace mental.

Il y a trop de choses dans ce texte. Je vais devoir en écrire d’autres.

Ndrl (note du relecteur, ndrl).

Le sens est la valeur sublime.

En 2012, à Belleville, au sous-sol du Zorba, j’assiste à une lecture performée de Damien Schultz, poète sonore français de langue affolante et de confession rythmique verbale. C’est une claque dans ma face, mes oreilles en prennent plein la gueule, mon cerveau beugle : Damien Schultz est une bête. Il grogne, dévore, intensifie.

: Le poème est interminable :

Mais le poète arrête le poème : c’est son métier. Point.

Pourtant, il continue : Il dévore les temps qui sont morts.

Avant Schultz, dans le même bar, le même soir, c’est Guillaume Bergon qui nous lit des passages de La spirale de la parole. Il lit « comme on slame », d’une voix neutre, et son texte, entre matiérisme et matérialisme, est contemporain. Le langage y est nominal : il n’y a pas le verbe. Athlétisme linguistique.

Le verbe est contrarié.

Pendant ce temps, à Saint-Denis, le poète français de confession mysti-Costes Jean-Louis, de langue aliénéante, perfore « La drogue la mort la nuit » dans sa cave.

Les mots, décomposer.

Les changer en sang et en nourriture.

On peut partir (« enfer ou ciel d’import ! »), mais on ne peut pas quitter le langage.

On a tendance à ne voir dans la fiction que ce qui n’est pas le réel. C’est stupide : le langage est une fiction qui fonctionne très bien dans le réel.

: le poème continue :